"Parmi tant d'institutions qui se sont évanouies au souffle brutal de la Révolution, et au nombre des plus regrettables, il faut compter les chapitres nobles de filles. Ces asiles, qui n'étaient point des couvents, où beaucoup de jeunes filles ne faisaient que passer, le temps seulement, dirait-on, d'y goûter le charme pénétrant d'une existence semi-religieuse, avant de s'engager dans les réalités prosaïques de la vie mondaine, et où tant d'autres, déshéritées du sort, trouvaient l'abri définitif, étaient merveilleusement adaptés aux idées, aux habitudes, au concept général de la vie d'autrefois.
Combien sensées pourtant (et l'on pourrait ajouter, si ce mot n'était affreux), combien utilitaires, ces maisons de retraite volontaire, assez fermées pour que, aux chanoinesses qui désiraient la paix religieuse ou l'oubli de quelque infortune, les bruits du monde n'arrivassent que singulièrement apaisés et ouatés, assez ouvertes sur la vie cependant, pour que celles qui considéraient de telles maisons comme un simple lieu de passage, y fussent agréablement diverties par ces bruits sans en être étourdies.

Volières parfois somptueuses, d'ordinaire très simples, dont on savait bien que les grilles n'étaient point trop serrées, et que la porte entre-baillée permettait aux oiseaux de s'envoler à leur aise ; cages sans maussaderie où il était loisible aux prisonnières de se blottir tout au fond, dans le recueillement et la prière, ou de mettre la tête aux barreaux dans l'attente du prince charmant. "


FILLES NOBLES ET MAGICIENNES

Humbert de GALLIER

 


L'Histoire du Chapitre Noble d'Alix

Il n’est pas facile de retracer les origines du chapitre noble d’Alix. Les guerres de religion du XVIe siècle, avec ses massacres, ses pillages, notamment ceux du Baron des Adrets en 1562 ont fait disparaitre en fumée les archives de l’histoire de ce village.

Ce sont les écrits des chanoinesses elles-mêmes, lorsqu’elles entreprirent de relater l’histoire de leur institution, qui nous livrent des bribes de ce que dut être l’évolution du prieuré en chapitre noble.

Un Prieuré de Bénédictine aurait été créé à Alix au VIIIème ou IXème siècle par Guichard de Beaujeu. Il dépendait dès l’origine de l’Abbaye Saint-Martin de Savigny, près de l’Arbresle.

Son emplacement est probablement choisi pour son calme, propice au recueillement. Comme les chanoinesses l’écrivent en 1773, elles résident « dans un hameau couvert de bois de la paroisse de Marcy sur Anse à cinq lieux de Lyon, deux de Villefranche en Beaujolois. Solitude telle qu’anciennement les Saints Pères vouloient l’établissement des maisons religieuses, éloignées du tumulte et embarras des villes ».
Pour autant, le prieuré n’est pas isolé du monde.
Dès les premières cartes retraçant les voies de communications, on voit qu’Alix est sur un des principaux axes du Beaujolais, sur la voie reliant Anse aux Olmes, c’est à dire reliant la « Route de Paris à Lyon par la Bourgogne » à la « Route de Paris à Lyon par le Bourbonnois ».

 

Source: Gallica
Source: Gallica
Source: Gallica
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Il semble que dès sa création, le prieuré d'Alix soit un couvent administré par une Prieure, mais sous l’autorité d’un grand Prieur de Savigny.

Des actes de transactions conservés aux archives départementales du Rhône, datés du Xème au XVIIème siècle, attestent de l’existence quasi ininterrompue du monastère.

Au XVIème siècle, bien qu’anéantie par les guerres de religion qui ont dévasté la région, la communauté religieuse se reforme peu à peu. Le monastère accueille alors des jeunes filles nobles du Lyonnais. 

Mais sa population décroit au cours du XVIIème siècle pour tomber à 6 religieuses en 1697, malgré la protection dont l’entourent les Rois de France.

Il faudra l’arrivée de Louise de Musy de Véronin à la charge de Prieure pour que le monastère retrouve sa grandeur.

Celle-ci n’a pas trente ans quand elle arrive au prieuré en 1723. Elle y restera 53 ans et sous son impulsion le prieuré gagnera en importance, en notoriété, et surtout obtiendra de l’archevêque de Lyon et du roi Louis XV d’évoluer en chapitre noble de chanoinesses.

Ces titres de chapitre noble et de chanoinesses qu'elles revendiquent depuis plus de 10 ans sont entérinés officiellement par Louis XV:

Par une ordonnance du Conseil d'Etat de décembre 1753, il acte le recrutement noble du chapitre et soumet la réception des jeunes filles à l'acceptation de leurs preuves littérales de noblesse, justifiant de 5 degrés de noblesse du côté paternel et d'un degré du côté maternel.

Par ses lettres patentes de 1755, il leur accorde le titre de "Chanoinesse-Comtesse" et leur octroie la médaille distinctive du chapitre.

 

Chapitre et non plus prieuré ?  La différence est notable. Laissons à Alphonse de Lamartine, dont la mère fut chanoinesse au chapitre de Salles, non loin d’Alix, le soin de nous l’expliquer :

 

            « Il y avait à cette époque en France une institution religieuse et mondaine à la fois, dont il nous serait difficile de nous faire une idée aujourd'hui sans sourire, tant le monde et la religion s'y trouvaient rapprochés et confondus dans un contraste à la fois charmant et sévère. C’était ce qu'on appelle un chapitre de chanoinesses nobles.

Voici ce qu'étaient ces chapitres :

Dans une province et dans un site ordinairement bien choisis, non loin de quelque grande ville dont le voisinage animait ces espèces de couvents sans clôture, les familles riches et nobles du royaume envoyaient vivre, après avoir fait ce qu'on appelait des preuves, celles de leurs filles qui ne se sentaient pas de goût pour l'état de religieuses cloîtrées et à qui cependant ces familles ne pouvaient faire des dots suffisantes pour les marier. On leur donnait à chacune une petite dot, on leur bâtissait une jolie maison entourée d'un petit jardin, sur un plan uniforme, groupée autour de la chapelle du chapitre.

C'étaient des espèces de cloîtres libres rangés les uns à côtés des autres, mais dont la porte restait à demi ouverte au monde ; une sorte de sécularisation imparfaite des ordres religieux d'autrefois ; une transition élégante et douce entre l'église et le monde. »

 

Les jeunes filles nobles jouissaient là en effet d’une liberté rare à cette époque. Dans ce XVIIIème siècle où la femme n’avait de salut que dans le mariage ou le couvent, où elle n’avait de « choix » que de se soumettre à l’autorité d’un mari ou d’un évêque, la chanoinesse demeurait libre de sa destinée.

Elle acquerrait à son entrée au chapitre le titre de Comtesse, et le gardait toute sa vie, alors que dans la vie civile elle perdait (à la différence de ses frères) le titre de noblesse de son père pour emprunter celui de son époux. Elle n’était pas coupée du monde, et séjournait régulièrement dans sa famille.

A l’âge de 25 ans elle choisissait de retourner vivre dans la société avec laquelle elle n’avait pas rompu les liens, ou prononçait des vœux, et dès lors pouvait bénéficier d’une partie des revenus du chapitre. Devenue alors chanoinesse professe, propriétaire de la maison que sa famille s’était engagée à faire construire dans l’enceinte du chapitre, elle conservait jusqu’à sa mort un mode de vie mi-religieux, mi-mondain.

A la révolution, les chapitres, mêlant clergé et noblesses, furent les premiers à être dissouts. Les chanoinesses d'Alix se battront pour conserver leur maison et leur rente, mais beaucoup retourneront dans leur famille et leurs maisons seront finalement vendues comme biens nationaux.

Rares sont celles qui finirent leurs jours à Alix. Les registres d’état civil en gardent néanmoins quelques traces. Les bâtiments et l’église, un temps abandonnés, retrouveront une nouvelle vie à partir de 1807, transformés en séminaire par le Cardinal Fesch.

 

De toutes les institutions religieuses abolies à la Révolution, les chapitres de chanoinesses sont sans doute les seules à n’avoir pas revu le jour à la Restauration.

 

Qu'était-il reproché à ces jeunes femmes ? Une vie trop peu religieuse, ou un peu trop de liberté ?

 

 

 

 


Les Preuves de Noblesse

Avant les lettres patentes de Louis XV en 1753, les preuves de noblesses étaient testimoniales. La parole de gentilshommes reconnus était suffisante pour attester de la noble ascendance d'une jeune fille. Le roi impose 5 générations de noblesse paternelle, soit 6 degrés en comptant la postulante, et la mère constatée demoiselle, c'est à dire issue elle-même d'une famille noble.

Les nouveaux statuts du Chapitre, écrits en 1756, vont au-delà des prescriptions royales, et exigent 8 degrés de noblesse paternelle.
Ces preuves deviennent littérales. Elles doivent être présentées, généralement, à des Chanoines-comtes de Lyon désignés par la prieure d'Alix, et étudiées par un généalogiste. Ceux ci doivent attester de la validité des preuves par acte notarié avant la réception de la jeune fille au Chapitre.

 

En quoi consistent ces preuves?

 

Nous avons l'exemple des preuves présentées par Adélaïde Catherine Pierrette de Gratet de Dolomieu, conservées à la Bibliothèque Municipale de Grenoble:

Elles sont datées du 19 mai 1770. (Adélaïde prendra l'habit le 11 juin 1770)

 

Preuves recueillies par Laurent François de Montmorillon et Louis de Clugny de Thénissey, Chanoines de Lyon:

  • Extrait baptistaire de la postulante
  • Contrat de mariage des père et mère (Génération +1)
  • Testament de Charles de Gratet
  • Contrat de mariage des grands-parents paternels (Génération +2)
  • Contrat de mariage des aïeuls paternels (Génération +3)
  • Contrat de mariage des aïeuls paternels (Génération +4)
  • Contrat de mariage des aïeuls paternels (Génération +5)
  • Testament de François de Gratet en 1621
  • Preuves testimoniales et littérales de Déodat de Gratet de Dolomieu (son frère) faites en 1762 pour être reçu chevalier de Malte
    De ces preuves sont extraites:
    • Preuves de noblesse de 1708 de Jean Baptiste François de Gratet de Dolomieu (son grand-oncle) pour entrer dans l'ordre de Malte
    • Preuves de noblesse faites par les arrières-grands-oncles germains
  • Lettres patentes sur parchemin signées Louis XIV de juillet 1689 érigeant en marquisat la terre de Dolomieu
  • Contrat de mariage des grands-parents maternels

L'acte notarié adressé au Chapitre d'Alix précise que ces preuves seront valables pour toute sœur d 'Adéla¨ïde qui postulerait à Alix après elle. Ce sera le cas de Polyxène Françoise Raymondine qui prendra l'habit le 13 novembre 1782.