Félicité du Crest de Saint Aubin, comtesse de Genlis,  est sans doute la plus illustre des chanoinesses d'Alix.

De son court séjour au chapitre, cette femme de lettres nous a laissé dans ses mémoires un témoignage intéressant et précis. Elle n'avait alors que 9 ans.

Sa vie dans le sillage de la famille d'Orléans, son comportement pendant et après la révolution  et surtout son fort tempérament ont fait d'elle un personnage controversé.

Écrivaine féconde, préceptrice érudite, précurseur en matière d'éducation pour certains, elle est jugée par ses détracteurs calculatrice, manipulatrice sans scrupules, d'une ambition démesurée et d'une vanité prodigieuse.

Le 12 février 1755, le chapitre d’Alix accueille 4 filles ayant apparemment des liens familiaux :
Jeanne Gayot de Provenchère âgée de 31 ans, fille de François de Gayot et Marie Françoise du Crest du Breuil
Marie Françoise Félicité et Pierrette Catherine du Crest de Chigy, âgées de 6 et 3 ans, filles de Lazare du Crest et Philippe Julienne de Gayot, nièces de la précédente
Etiennette Félicité du Crest de Saint Aubin âgée de 9 ans, fille de Pierre César du Crest et Marie Françoise Félicité Mauguet de Mezières, leur cousine.

« Apparemment », car la généalogie de la famille du Crest est compliquée, mais aussi controversée.
Les historiens s’accordent à dire que Marie Françoise Félicité et Pierrette Catherine seraient en réalité les filles de Charles Guillaume Lenormant d’Etiolles, mari de Madame de pompadour. Pour la mère quant à elle, les avis sont partagés.
Catherine Chaussin, veuve de Claude Bérault de Bellevaux, fut la maitresse de Charles Guillaume. Sa maternité est plausible, elle éleva les deux jeunes filles et resta très proche de Marie Françoise Félicité jusqu’à sa mort.
Victor Charles de Caraman dans « La Famille de la Marquise de Pompadour » et Jean Nicolle dans « Madame de Pompadour et la société de son temps » désignent plutôt Marie Victoire de Chevailles, veuve de François Antoine deslacs du Bosquet d’Arcambal. Selon eux, Madame de Bellevaux aurait simplement accueilli et éduqué les fillettes, contre une rente versée par Lenormand d’Etiolles.
Quoiqu’il en soit, simplement ondoyées à leur naissance en 1749 et 1752, Marie Françoise Félicité et Pierrette Catherine sont baptisées en 1753 et reconnues par Lazare du Crest et Philippe Julienne de Gayot lorsqu’ils se marient à Saint Aubin en Saône et Loire. On soupçonne Charles Guillaume Lenormant d’Etiolles d’avoir « arrangé » cette reconnaissance. Il subviendra à leurs besoins, les confiera à Madame de Bellevaux et s’occupera d’elles toute leur vie.

 

Leur cousine Etiennette Félicité du Crest de Saint Aubin, future Mme de Genlis, écrit dans ses mémoires n’être restée que quelques semaines à Alix. Il en est probablement de même des 3 autres jeunes femmes, leur nom n’apparaissant pas dans les registres des actes capitulaires.
Elles seront toutefois nommées dans l’effectif du chapitre pendant plusieurs années, moyennant probablement une rente que Pierre César du Crest verse annuellement.

 

Jeanne Gayot de Provenchère disparaît des registres après 1770.
Marie Françoise Félicité du Crest de Chigy épouse à 16 ans Antoine Gaultier de Montdorge qui en a 65. Elle reste chanoinesse honoraire. Devenue veuve en 1768, elle se remarie 18 mois plus tard avec Antoine Joseph Deslacs du Bosquet d’Arcambal. Elle aura 3 enfants de ce second mariage.
Pierrette Catherine du Crest de Chigy se marie en 1774 avec Gabriel Chanteau dont elle aura au moins un fils.
Etiennette Félicité du Crest de Saint Aubin aura la renommée que l’on connaît. Malgré sa famille peu fortunée, elle reçoit une éducation solide et sa tante, Madame de Montesson, lui ouvre les portes de la Cour. Elle épouse à 16 ans Charles Alexis Brulard de Genlis. Elle devient dame d'honneur de la duchesse d'Orléans, puis la maitresse de Philippe d’Orléans et le gouverneur de ses enfants.

Elle éduquera le futur Louis Philippe et aura de nombreux enfants légitimes, illégitimes ou adoptés, et le doute planera sur certaines naissances comme jadis sur celles de ses cousines.

 

Sources :             
« La Famille de la Marquise de Pompadour » Victor Charles de Caraman

« Madame de Pompadour et la société de son temps » Jean Nicolle

Le Mercure Musical – 1912

Base Roglo

Archives départementales de Cote d’Or

Archives départementales de Saône et Loire


Extrait des "Mémoires inédites" de Mme de Genlis

Nous partîmes ensemble dans une immense berline, et nous allâmes à Lyon, car on devoit nous faire recevoir, ma cousine et moi, chanoinesses du chapitre noble d'Alix. Comme il falloit d'abord que les comtes de Lyon examinassent les preuves de noblesse des postulantes, nous restâmes environ quinze jours à Lyon. Nos preuves étant en règle, nous allâmes à Alix, qui n'est qu'à peu de lieues de Lyon.
Ce chapitre formoit, par ses immenses bâtimens, un coup d'œil singulier. Il étoit composé d'une grande quantité de jolies petites maisons toutes pareilles, et toutes ayant un petit jardin. Ces maisons étoient disposées de manière qu'elles formoient un demi-cercle dont le palais abbatial occupoit le milieu. Je m'amusai beaucoup à Alix : l'abbesse et toutes les dames me combloient de bontés et de bonbons, ce qui me donnoit une grande vocation pour l'état de chanoinesse. Cependant mon bonheur fut un peu troublé par la terreur que m'inspiroit une bête féroce, d'une espèce inconnue et singulière, qui désoloit alors ce canton ; on en contoit des choses si effrayantes qu'aucune des dames n'osoit sortir de la maison pour aller se promener dans la campagne. Le gouvernement ordonna, à ce sujet, des chasses publiques; et peu de jours après notre départ d'Alix, on tua ce terrible animal. J'ai vu depuis, quinze ans après, se renouveler cette espèce de fléau. Tout le monde a entendu parler de la hyène de Gévaudan qui a fait tant de ravages.

Le jour de ma réception fut un grand jour pour moi. La veille ne fut pas si agréable, on me frisa, on essaya mes habits, on m'endoctrina, etc. Enfin le moment heureux arrivé, on nous vêtit de blanc ma cousine et moi , et l'on nous conduisit en pompe à l'église du Chapitre. Toutes les dames habillées comme dans le monde , mais avec des robes de soie noire sur des paniers , et de grands manteaux doublés d'hermine, étoient dans le chœur. Un prêtre, qu'on appeloit le grand prieur, nous interrogea, nous fit réciter le credo y ensuite nous fit mettre à genoux sur des carreaux de velours. Alors il devoit nous couper une petite mèche de cheveux; mais, comme il étoit très vieux et presque aveugle, il me fit une petite coupure au bout de l'oreille, ce que je supportai héroïquement sans me plaindre; on ne s'en aperçut que parce que mon oreille saignoit. Cela fait, il mit à mon doigt un anneau d'or bénit, m'attacha sur la tète un petit morceau d'étoffe blanc et noir, long comme le doigt, que les chanoinesses appeloient un mari.
Il me passa les marques de l’ordre, un cordon rouge et une belle croix émaillée , et une ceinture d'un large ruban noir moiré. Cette cérémonie terminée , il nous fit une courte exhortation , après laquelle nous allâmes dans l'église même embrasser toutes les chanoinesses; puis nous entendîmes la grand' messe. Le reste de la journée, à l'exception de l'heure de l’office, après le dîner, se passa en festins, en visites chez toutes les dames, et en petits jeux très agréables. Dés ce moment, on m'appela madame la comtesse de Lancy *: mon père étoit, comme je l'ai dit, seigneur de Bourbon-Lancy, c'est pourquoi ce nom me fut donné. Le plaisir de m'entendre appeler madame surpassa pour moi tous les autres.
Dans ce chapitre on étoit libre de faire ou non des vœux à l'âge prescrit ou plus tard ; quand on n'en faisoit point on ne gagnoit à cette réception que le titre de dame et de comtesse, et l'honneur de se parer des décorations de l'ordre. Les dames qui faisoient des vœux, avoient avec le temps d'assez bonnes prébendes ; on n'étoit obligée de résider au chapitre que lorsqu'on avoit fait des vœux , et dans ce cas , outre qu'on ne pouvoit plus se marier, on étoit forcée de rester au chapitre deux ans sur trois ; on alloit passer l’année de liberté où l’on vouloit. Il y avoit dans ce chapitre, ainsi que dans quelques autres , une espèce d'adoption formellement autorisée par les statuts. Chaque chanoinesse ayant fait des vœux avoit le droit d'aniècer, c'est-à-dire d'adopter pour sa nièce une jeune chanoinesse étrangère, sous la condition que cette jeune personne prononceroit ses vœux quand elle en auroit l’âge, et qu'en attendant elle resteroit toujours avec elle. Alors la tante adoptive pouvoit laisser après elle à sa nièce, ses bijoux, ses meubles, sa petite maison et sa prébende. Madame la comtesse, de Clugny , une de nos parentes et chanoinesse de ce chapitre, offrit de m’aniècer , Elle étoit riche, et elle pressa beaucoup ma mère de consentir à cette adoption : ma destinée sans doute eût été beaucoup plus paisible si l'on y eût consenti I
Après un séjour de six semaines à Alix, nous partîmes; je pleurai amèrement en quittant ces aimables chanoinesses, mon cœur dès lors s'attachoit avec une vivacité peu commune.

* Toutes les chanoinesses d'Alix avoient le droit de porter le titre de Comtesse; et j'ai porté le nom de Lancy jusqu'à mon mariage.                                               (Note de l'auteur.)